On dit souvent qu’avec le temps, les douleurs du deuil s’estompent. D’une certaine manière, le temps efface presque à moitié ce souvenir encore douloureux. On grandit avec nos chiens, même dans la perte.
1-Mon histoire avec Léna
Elle est arrivée par la grande porte de notre foyer. Venant d’un refuge, nous avons traversé différents moments, tantôt joyeux et emprunts de doute.
Elle est restée cinq ans dans notre domicile, et ensuite a rejoint l’autre-monde, si brutalement, un foutu dimanche. À l’époque où je l’avais recueillie, je ne savais pas qu’à cet instant qu’elle ne vivrait que cinq ans.
On ne sait jamais combien de temps les êtres que l’on aime, demeurent auprès de nous. Si ce n’est pas la vie qui nous éloigne pour diverses raisons, c’est la mort, qui crée la séparation.
Léna était une chienne athlétique, abandonnée deux fois dans le passé. Les débuts ont été difficiles, cependant, c’était un être incroyable ; une douceur et une patience hors pair.
Imprégnée de son passé, elle avait peur de la main, associée douloureusement à un passé maltraitant. Il y avait des endroits impossibles à toucher, au risque d’être agressive, ce que nous avons appris à comprendre et à apprendre.
Une fois de plus, le temps fit son œuvre, pour nous permettre réciproquement de partager un lien de confiance. Elle reprit confiance en l’humain, malgré les coups passés.
Au fil des ans, Léna autorisa que je la touche à certains endroits. Bien entendu, dans ce lien de confiance, j’allais en douceur, sans heurts.
Un cœur meurtri n’oublie jamais la puissance de la douleur, ni n’efface la violence d’une main. Le corps enregistre tout, comme un disque-dur ineffaçable, qui revient par intermittence.(1)
Elle m’a appris au cours de ces cinq années, à mon tour, la patience, en me permettant d’approfondir mon apprentissage canin.
Léna, ma grande, même si tu as rejoint le ciel, il y a quelques années, je te suis infiniment reconnaissante de ce rayon de soleil que tu as apporté dans ma vie et mon coeur.(2)
2-Le verdict tombe
Parfois, nous ressentons des changements imperceptibles que nous ne pouvons décrire précisément. Est-ce notre part instinctive qui nous alerte à ce moment ? Notre part animale qui avertit ? Avant que le verdict tombe à l’instar d’un couperet, j’avais remarqué, en début d’été, quelques changements soudains, chez ma chienne.
Comme une fatigue inexplicable, plus essoufflée. Je l’avais perçu, si subtilement, dans un coin de ma propre mémoire. L’être humain, peut-être en réflexe de survie, a le potentiel de ranger dans sa tête ce qui ne lui convient pas. Comme un réflexe d’autodéfense. C’est ce qui s’est passé à l’époque ; au fond de moi, je pressentais que cela était « anormal ».
Vous, comme moi, selon la teneur d’un évènement, n’avons pas les mêmes réactions de comportement face à ce qui peut créer de la douleur. Je crois, qu’en fait, nous faisons tout pour l’éviter. Fuir, cela peut être avantageux, or, la réalité finit toujours par nous rattraper à un moment donné.
Une boule avait pris naissance au niveau de son cou, et de sa trachée. À quel moment s’était-elle déclarée ?
Ajouté à cela, à l’époque, au lieu de chercher à nous accompagner dans cet affreux moment, le vétérinaire, ce jour-là, nous a limite « grondé » puisqu’on ne l’avait pas vue plus tôt.
Non, malheureusement, nous n’avions pas vu cette fichue boule, alors que je l’observais comme le reste de ma famille quotidiennement.
Pourquoi ? Parce que cela s’est déclaré brutalement. Il n’y a rien eu avant, lorsqu'elle était palpée quotidiennement.
Cela nous a pris par surprise. Ce jour-là, j’ai considéré que c’était une blague de « mauvaise goût ».
Le vétérinaire nous avait prévenu de ce laps de temps qui resterait avec notre chienne.
Double verdict qui sonne comme un couperet. En un mois de temps, tout est allé rapidement. Trop rapidement. Double verdict. Double peine.
On ne sait pas à qui en vouloir, à cette injustice, à la Vie, à Soi. Et ce temps, latent qui nous rappelle qu’il y a un compte rebours avec elle.
3- L’après opération
Elle fut opérée, sur les conseils du vétérinaire. Malgré l’issue finale. Et là, une fois de plus, le temps a agi si brutalement. Moins d’une semaine après cette opération, j’accompagnais ma chienne dans ses derniers instants. Pour couronner le tout, cela arriva un dimanche. Donc, un weekend, quand dans nos régions, la seule clinique vétérinaire disponible est Maisons-Alfort (94).
Au regard de l’état de la chienne, il était impossible de la déplacer. Le weekend fut un long moment tiraillé entre l’accompagner dans ses derniers instants dont elle tenait à vivre auprès de nous chaque moment.
On lui parlait, on la caressait. On ne la laissait pas seule dans ses instants difficiles de respiration.
Le dernier moment qu’elle a souhaité vivre auprès de nous, c’était dans le jardin ; elle enregistrait les dernières odeurs, continuait d’observer telle une Reine dans sa demeure comme pour se nourrir de tous ces éléments jusqu’à la dernière seconde.
Dans ce jardin, je lui ai adressé les mots du cœur. Qu’elle pouvait également s’autoriser à partir. Étrange situation où dans ces moments douloureux, on ne pense pas à Soi.
On ne veut pas garder un être auprès de nous qui souffre. La voir dans ces conditions est douloureux, mêlé en plus à de l’impuissance.
En réalité, on pense à l’autre. L’autoriser à partir, c’est aussi lui dire : "merci d’avoir été là, maintenant, tu peux y aller. Ne t’inquiète pas pour moi. Si tu ne tiens pas, je veux que tu sois libérée de cette souffrance ".
C’est ce qu’elle fit dans le quart d’heure qui a suivi, en regagnant son tapis préféré où elle aimait dormir, s’étalait. Nous assistions à ces dernières minutes de vie. La veille, nous avions pu faire venir un vétérinaire à domicile, en lui expliquant la situation.
L’après, le jour où j’ai pleuré
En moins d’une semaine de temps, la vie a retiré mon amie poilue. Pleurant dans une suite logique, toutes les larmes de mon corps. Après cela, je ne voulais plus envisager de reprendre un chien, car je n’étais pas en mesure émotionnellement de l’accueillir.
Dans un état de choc, le corps et le mental peuvent se dissocier. Je pense qu’après une période comme ça, c’est ce qui s’est passé, car le mental et l’esprit n’ont pas eu le temps d'enregistrer.
Oui, j’évoque cette notion de temps, une fois de plus, car c’est bien lui qui est à l’œuvre. Là, où j’ai reproché au temps d’avoir été trop rapide pour me retirer mon amie poilue. C'est Le jour où j'ai pleuré ma chienne partie trop tôt.
L’après, c’est plutôt une histoire d’un temps qui s’allonge dans une courbe émotionnelle qui désarme. On a l’impression que ce sont des larmes qui n’en finissent pas. Il y a eu une période où je ne pouvais plus entendre parler du « monde canin » ; je rejetais tout, comme un dégoût de ce qu’on m’avait retiré.
J’ai eu de la chance, car dans mon entourage à l’époque, on ne m’a pas dit, cette phrase qui ne réconforte pas : « ce n’est qu’un chien ».
L’entourage a saisi la brutalité de cet évènement qui m’a pris de court. Pendant un temps, je refusais l’idée de prendre un chien.
Mais, le temps, une fois de plus, en a décidé autrement quelques mois après.
Des années après, cette chienne que j’ai tant pleurée.
Des années après, le souvenir de cet évènement me remonte au moment de l’été, comme une « date anniversaire » symbolique.
De plus, en écrivant ce texte au mois pile de son décès (5 août 2024), je réalise combien le « catharsis » de cet évènement n’a pas été réalisé. J’ai eu, dans mon entourage ainsi que professionnel, des êtres qui ont été secoués émotionnellement après le décès de leur animal même des années après.
Bien souvent, on ne réalise pas combien la douleur peut-être encore présente même des années après. Comme si une partie de soi, n’avait pas digéré l’évènement dans sa brutalité.
Fréquemment, aussi, on sous-estime cette douleur, pourquoi n’y en aurait-il pas. Est-ce seulement réservé au sort entre humains ? N’avons-nous pas le droit de pleurer, de vivre cette perte, comme un fragment d’histoire qui disparait en même temps que l’animal ?
Les différentes « catharsis »
Le « catharsis » est l’action de soulager, comme un exutoire, ce qui ressort par nos tripes.
Le premier décès de ma chienne a été vécue différemment par rapport à ma seconde. La première, cela s’est fait dans un accompagnement doux, où j’ai eu la chance de pouvoir l’emmener chez le vétérinaire. Et qu’elle était sereine d’y aller !
Tandis que la seconde, cela s’est fait trop brutalement. D’où une digestion émotionnelle plus lente, plus difficile à prendre.
Il y a plus de dix ans, j’avais découvert ce site qui permet aux propriétaires de déposer un témoignage. Cela peut paraître anodin, mais écrire permet d’exulter sa douleur, d’y mettre les formes que l’on veut. En lisant les autres témoignages, on se retrouve un peu dans la douleur et le parcours des autres.
Aujourd’hui, je pense plus particulièrement aux propriétaires dont soit le chien/le chat n’a jamais été retrouvé, perdus, disparus quelque part ou qui décèdent brutalement, alors que la veille rien ne laissait présager cela.
J’ai une pensée particulière pour ces personnes, car le « deuil » selon les situations n’est clairement pas le même. Si tant est, qu’il y en ait un !
Ecrire, chanter, exprimer sa voix, dessiner, peindre, allumer une bougie font partie des moyens pour rendre hommage et exulter celle-ci.
Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas tous égaux dans l’échelle de la douleur et de l’évènement. Minimiser la douleur de l’autre, c’est ne pas respecter ce que vit l’autre dans sa tourmente.
Julie Caillaux
L'Essentiel Educ
Bessel Van Der Kork, Le corps n'oublie rien, édition Pocket
Léna, prénom d'origine Grec qui signifie au sens littéral "Éclats du Soleil".
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